Marie de Miribel
(1872-1959) et les Apaches, + DEUX PHOTOS
l'improbable rencontre
La
fondatrice de l'Œuvre de la Croix-Saint-Simon a rédigé avec soin
nombre de témoignages sur la population de Charonne qu'elle
affectionnait tant.
Des
anecdotes souvent inédites, contées avec une distance de trente
ans, relatent son expérience des « Apaches » locaux, qui
sévissaient à deux pas de son premier dispensaire.
Marie
de Miribel a vingt-huit ans lorsqu'elle découvre la « misère
concrète et spirituelle » de Charonne. Issue d'un milieu
catholique épris d'action sociale, la fille du Général de Miribel,
toute dévouée à l'éducation de ses frères et sœurs, s'implique
dans le vaste projet missionnaire coordonné par l'abbé de
Gibergues, futur évêque de Valence.
La
« chasse aux âmes » est confiée à de petites équipes
de dames, chargées de visiter les plus modestes logis et de
s'enquérir d'oeuvres à réaliser : baptêmes, communions,
installation des ménages à régulariser. C'est ainsi que Marie de
Miribel assiste à la messe de Noël en « la jolie petite
église Saint-Germain-de-Charonne ».
Une
révélation
Nous
sommes en 1900. L'année de toutes les espérances ! La
modernité, la science, le téléphone, le progrès... Les habitants
du nouveau 20e
arr. de Paris manquent cependant du nécessaire. L'habitat précaire,
l'entassement des familles, le manque de soins fragilisent une
population éprouvée par les épidémies de tuberculose pulmonaire.
En
1888, au sein du nouvel hôpital Tenon, 1000 décès sur 1500 sont
imputés à la contagieuse maladie. Garçons de lavoirs, couronnières
(femmes assemblant des couronnes mortuaires) et palefreniers
disparaissent en pleine jeunesse.
La
cause est entendue. Marie de Miribel renonce à son service mondain
auprès de la Duchesse d'Orléans et troque bientôt sa robe noire
contre l'uniforme immaculé des infirmières de la Croix-Rouge.
« Madame Marie » se met au service des populations
locales et imprègne d'instruction religieuse son action secourable.
Le
petit peuple est-parisien n'est cependant pas composé que «
de Charonnais simples et bons »...
Opposition
de styles
A
quelques encablures de l'église et du vieux village sévissent
divers réseaux de mâle camaraderie, sommairement organisés autour
d'un chef respecté.
La
« bande des Orteaux » rassemble de jeunes hommes
désoeuvrés et âgés d'à peine vingt ans autour d'une figure
charismatique, le dénommé Joseph Pleigneur, dit « Manda ».
Le clan vit de rapines, de proxénétisme et le soir venu, trousse
le bourgeois qui fréquente les lieux de réjouissance du vieux
Paris.
La
zone périphérique des vieilles « fortifs' » offre un
refuge commode aux détrousseurs, qui n'hésitent pas à user de
violence pour se défaire d'un « goncier » (bourgeois
naïf) récalcitrant.
La
« faune exotique » décrite par la presse à sensations
se mue en déferlante de « hordes apaches » sous la plume
de journalistes créatifs.
La
jeune Casque d'Or elle-même démentira l'usage de ce qualificatif au
sein de sa « bande de copains ». La Bellevilloise à la
flamboyante chevelure attise les plus vives convoitises : le 5
janvier 1902, la confrontation entre Manda et Leca, chef de la
« bande des Popincs » (quartier Popincourt, 11eme
arr.) vire à la fusillade. Leca fait soigner son bras et sa cuisse à
l'hôpital Tenon. Son séjour y sera bref.
Sous
l'oeil médusé du personnel soignant, le chef meurtri est enlevé au
petit matin par ses sbires. Une course-poursuite en diligence
s'engage : les « roncins » (policiers) se sont
lancés aux trousses des bandits.
Apprentis
« apaches »
L'épisode
a de quoi échauffer les esprits de jeunes gens en mal d'aventure.
Avant
la construction d'une modeste « maison de l'Union » en
1906, Madame Marie délivre sur un banc de la rue des Pyrénées des
consultations d'ordre médical, spirituel et éducatif. Des mères
éplorées rapportent la fascination qu'exercent sur leur progéniture
les exploits des « Apaches » locaux, qui « ont élu
leur quartier général sous le pont ferroviaire de la rue
Croix-Saint-Simon ».
Jusqu'à
la première Guerre mondiale, les « gars de Charonne »
sont réputés y tenir leurs plans de campagne. Ernest R., de la rue
d'Avron, « tardif premier Communiant » se détourne ainsi
de l'esprit missionnaire.
Sa
malheureuse mère se lamente : « Mon Ernest ne veut pas
travailler, il ne fait que lire des romans... et court toute la nuit
avec de mauvais camarades ». Le portrait est conforme aux
valeurs communes des membres de bandes, le refus du travail, un goût
pour la fête et la mise vestimentaire excentrique, sorte de
travestissement du code bourgeois : casquettes avachies, vestons
aux coupes étranges, port de couleurs vives.
Ernest
fréquente Casque d'Or et Manda. Un jour funeste, il prend part à
une échauffourée, consécutive au partage contesté d'un butin.
Avide de défendre Casque d'Or, le « pauvre Ernest »
enfonce résolument son « surin » (couteau) dans le dos
d'un camarade. Un geste sanctionné de onze années de prison à la
Santé. A sa sortie, une lente réhabilitation commence pour l'Apache
repentant...
Le
prix du droit chemin
« Son
crime et son désir de relèvement » émeuvent Marie de
Miribel. Avec sa ferveur coutumière, « Madame Marie »
lui obtient une recommandation. Ernest s'engage dans un régiment et
fait preuve d'une discipline modèle, avant d'intégrer une usine de
Montreuil.
En
1914, Ernest reprend l'uniforme. Il s'y conduit en héros :
« trois fois blessé, un œil crevé, il reçoit la croix de
guerre, la médaille militaire, mais doit être réformé ».
Les stigmates cruels d'un rachat de conduite... Nombre d'Apaches vont
ainsi disparaître au bagne ou dans les tranchées.
Ernest
a toutefois plus de chance que nombre de ses anciens camarades :
la confiance renouvelée de son patron lui fait gagner la propriété
de l'usine de Montreuil et la main de l'héritière.
Un
choix de vie sans doute moins flamboyant, mais plus sage... et
conforme aux enseignements de Madame Marie.
Anne
Delaplace
Sources :
Fondation
Oeuvre de la Croix Saint-Simon (archives inédites)
Bulletin
trimestriel no 6
de l'école de la Croix Saint-Simon, 1947
Clichés
joints
Marie
de Miribel assise dans un groupe (copyright : Fondation Oeuvre
de la Croix-Saint-Simon)
Les
fortifications – Vue perspective depuis Bagnolet (copyright :
Musée du Petit Palais/Ermitage)