Art
urbain
Deux
artistes graffeurs exposent au Carré de Baudouin
Ils s’appellent Lek
et Sowat et ils montrent, grâce à la mairie du 20e
qui leur a donné carte blanche pour transfigurer le Carré de
Baudouin, des œuvres et les concepts qui portent leur art. Loin de
la rue, des friches urbaines ou des sites industriels abandonnés et,
habités par une référence au « champ lexical juridique »,
ils ont appelé leur expo « circonstances atténuantes »
ce qui est plus subtil qu’un titre en anglais !
Lek et Sowat, l’un
originaire de Marseille et l’autre parisien de l’Est parisien,
qui travaillent en binôme depuis 2010, partagent un goût commun
pour l’UrbEx –ou « Exploration Urbaine »- discipline
qui consiste à explorer la ville à la recherche de ruines modernes.
Autre originalité de ces deux artistes, ils ont été pendant un an
pensionnaires à la Villa Médicis de Rome (2015-2016) : une
première pour des artistes autodidactes de la rue !
Six processus créatifs
d’un duo aguerri
Espace extérieur et
espace intérieur, Lek et Sowat ont investi l’ensemble des 400 m2
du Carré de Baudouin. La visite comprend, avec la vidéo, six
moments :
Au rez-de-chaussée, on
peut admirer, en noir, blanc et jaune fluo, 4 fresques abstraites
intitulées « Natures mortes ». Pour comprendre
l’enchaînement du processus de la création, on regardera
successivement le sol qui donne le départ de la construction de
l’œuvre, puis le mur de gauche, puis celui du fond et enfin celui
de droite. A la différence de ce qu’on peut voir dans les rues, on
est dans des jeux de constructions géométriques abstraites où le
collage joue un rôle important. Un peintre espagnol qui était venu
voir, a imaginé à gauche une œuvre de Mondrian, à droite il a
pensé à Guernica et dans le fond à un cubisme imprécis.
Dans cette esthétique à
la fois « brute et subtile », on pourra admirer les
dégoulinures noires frottées qui donnent beaucoup de force à
l’ensemble du travail. Serait-ce une allusion aux marbres noirs que
les deux artistes ont beaucoup admirés à Rome durant leur séjour à
la Villa Médicis ?
Dans l’escalier, « Top
to Bottom », désigne un graffiti recouvrant un wagon de
haut en bas, les deux graffeurs ont rythmé cet espace de leurs
souvenirs personnels, avec des photos qui montrent en tout petit des
vestiges de différents murs qu’ils ont eu l’occasion de peindre.
A
l’étage, après s’être déchaussé, ce qui est,
incontestablement, un luxe pour le Street-art, on pourra admirer à
gauche l’œuvre intitulée « Antichambre » et à
droite « Concours de circonstances ». on a là,
une très curieuse confrontation que l’on parcourt en chaussettes
ou en bas, entre la reproduction d’une chambre d’hôtel que le
duo a réalisé pour le Drawing Hotel qui vient d’ouvrir ses portes
à deux pas du Louvre et la reconstitution d’un chantier digne des
ruines industrielles qui sont le quotidien de leur univers de
travail. Les artistes montrent là deux aspects de leur activité où
se confrontent une réalisation alimentaire face à l’utopie
d’œuvres invendables.
A l’extérieur le
mur de la rue de Ménilmontant n’a pas de nom, mais il est très
différent de l’exposition surtout par ses couleurs. Il est aussi
plus proche de l’idée que l’on peut avoir sur l’art des
graffeurs…
« Légitime ou
sauvage, le graffiti est-il un art ? »
En s’attaquant à un
lieu culturel réputé, Lek et Sowat ont joué le jeu d’une
exposition où « ils se sont mis au défi de mettre en
perspective leur processus créatif et ses coulisses » (Elise
Herszkowicz, commissaire de l’exposition). Pour respecter ce qui
est une des caractéristiques du Street-art qui est éphémère, ils
assisteront en juillet à la destruction de leur travail. En
attendant, est-ce parce que la communication a été bien faite ou
est-ce parce que l’univers du graff commence à être reconnu comme
un art, les visiteurs sont très nombreux à venir de Paris et de
l’étranger pour admirer ces « circonstances atténuantes »
qui méritent d’être vues.
Anne Marie Tilloy
Jusqu’au 22 juillet,
à voir tous les jours sauf dimanche, lundi et fêtes de 11h à 18h,
121 rue de Ménilmontant.
Légende :
Crédit photo :
Nicolas Gzeley
« Natures mortes »
au rez-de-chaussée