Au
Théâtre de la Colline
Le Temps
et la Chambre de Botho Strauss
Mise en
scène d’Alain Françon
Deux hommes sont assis,
l’un, Julius, dans un fauteuil tourné vers la fenêtre, l’autre,
Olaf dans un fauteuil tourné vers l’intérieur de la pièce. Tout
est calme et tranquille, mais pas pour longtemps. Julius dit à Olaf
ce qu’il voit de la fenêtre, notamment une jeune femme qui passe,
et quelques secondes plus tard, elle surgit pour la première fois…
Botho Strauss est né en
1944 à Naumburg en Allemagne. Il est l’un des auteurs allemands
les plus joués dans le monde. Une vingtaine de pièces à son actif
parmi lesquelles « La Trilogie du revoir » (1977),
« Grand et Petit » (1982) , « Le Parc (1986), et
« Le Temps et la Chambre » (1988) dont la traduction est
signée Michel Vinaver, un de nos plus grands dramaturges français.
Les thèmes du théâtre de Botho Strauss sont la solitude,
l’enfermement, et l’incommunicabilité. Pour lui, « le
désespoir ne conduit qu’à une lucidité malheureuse ».
Alain Françon, metteur
en scène, a toujours eu en tête de monter « Le Temps et la
Chambre ». Et aujourd’hui, il s’en empare sur la scène de
la Colline dont il a été directeur de 1996 à 2010.
Un théâtre du
paradoxe
Botho Strauss présente
ici un théâtre du vacillement, de l’instant avec des
énonciations, des figures qui apparaissent, se croisent, semblent se
retrouver, sans que l’on identifie le lien à priori qui les relie
entre elles, devenues presque étrangères à leur propre existence …
La pièce est en deux
parties : la première donne vie au lieu, à cet espace habité
par Olaf et Julius. La fille de la rue, Marie Steuber,
s’invite jusqu’au domicile des deux hommes, et ne le quitte
pas ; d’autres à sa suite, L’Homme sans montre qui
pense l’avoir oubliée la veille dans ce lieu ( ?),
L’Impatiente, La Femme Sommeil arrachée d’un hôtel
en flammes par l’Homme en manteau d’hiver, Le Parfait
Inconnu vont entrer et sortir, se rencontrer et se séparer...
Cet endroit se change en
un espace ouvert où tout est possible. « La Chambre »
est-elle un lieu heureux et malheureux ? Un vertige ?
La seconde partie est une
succession de scènes avec Marie Steuber qui revit son passé, avec
des hommes qu’elle a connus, en version accélérée. Elle se
modèle sur le désir des autres et donne sans compter. « Le
Temps » est-il celui de la vie en morceaux de Marie Steuber ?
Pour donner corps à cet
agencement textuel, Alain Françon a choisi une distribution de rêve
avec entre autres : Georgia Scalliet, de la Comédie
Française, excellente dans le rôle de Marie Steuber ;
Dominique Valadié, admirable en Impatiente ; Gilles
Privat et Jacques Weber en complices-sceptiques ; Wladimir
Yordanoff , à l’ironie désespérée.
Etrange puzzle, récit
non linéaire, histoire fragmentaire, cette pièce onirique invite le
spectateur à réfléchir sur la vie désorientée de notre société.
Peintre de la solitude urbaine, Botho Strauss est un révélateur.
Pour mémoire, en 1991,
avec « Le Temps et la Chambre », Patrice Chéreau avait
reçu le Molière du meilleur spectacle subventionné.
Yves
SARTIAUX